Les Origines du Coran et de l’islam
La jeune HET-Pro, Haute École de Théologie-Professionnelle (Forum Emmaüs), ne néglige aucun créneau dans le combat académique et spirituel. C’est une triple flèche qu’elle décoche du créneau de l’islamologie, dirigée par celui qui enseigne à la HET cette matière – donc l’actualité n’échappe à personne. Une flèche peut-être meurtrière : car, malgré sa faible épaisseur, le livre que je présente sous la métaphore a le poids des thèses qui chamboulent, ou peuvent chambouler, toute l’image couramment admise de son sujet.
Karim Arezki rappelle d’abord les données fondamentales, le récit « officiel » des origines du Coran et de l’islam, mais pour nous apprendre qu’une tendance, qui rallie d’assez nombreux spécialistes, s’est récemment mise à déconstruire ce récit pour en construire un autre, pour lequel les influences chrétiennes jouent un grand rôle (p. 13-30). Le troisième chapitre, de Paul Neuenkirchen, fait ressortir la présence très forte de l’eschatologie dans le Coran, et la proximité des homélies syriaques de prédicateurs chrétiens, en particulier Jacques de Saroug (p. 89-109). La démonstration est très érudite ; malheureusement, un malheur informatique (j’ai déjà rencontré ce problème) a fait que, dans ce chapitre III, toutes les citations en hébreu, syriaque et arabe, qui devraient s’écrire de droite à gauche, sont imprimées de gauche à droite, illisibles ! C’est dommage, bien que la transcription dans l’alphabet latin, offerte à côté, limite le dommage. Je suis surpris de ne pas voir de discussion du verset 61 de la Sourate 43 (« l’Ornement »), qui dit de Jésus qu’il sera « le signe de l’Heure » : une affirmation qui a suscité en islam la doctrine selon laquelle le Retour de Jésus préludera à la Fin (je ne sais combien d’adeptes elle peut avoir).
Le gros morceau, cependant, est le second chapitre, dû à M. Ali Amir-Moezzi, le maître des deux autres auteurs (p. 33-87). C’est lui, avec l’autorité de ses nombreux travaux, qui remet radicalement en question l’image habituellement reçue des origines islamiques. Il rappelle – et ces faits ne sont pas contestés s’ils sont souvent pudique ment « oubliés » – quel chaos sanglant a marqué les premières années et décennies de l’islam après la mort de Muhammad (Mahomet, cette forme du nom vient par le truchement des Turcs). Plusieurs califes assassinés… Surtout, il développe l’accusation: le Coran dit ‘uthmannien (officiel) ne date que de la dernière partie du VIIe siècle (de notre ère), un demi-siècle plus tard. La critique interne le montre, à partir des incohérences; surtout, M. Amir-Moezzi s’appuie sur les documents shi’ites, qui attestent un texte sévèrement censuré par la suite.
La reconstruction du Coran non-falsifié conduit à une thèse encore plus révolutionnaire, dont je n’imagine pas qu’elle puisse être reçue sans remous. Partant du constat du cachet eschatologique du message originel de Muhammad, M. Amir-Moezzi voit en celui-ci l’annonciateur du Messie, de la venue imminente du Messie. Et quel Messie ? Il écrit : « de nombreuses attestations textuelles montrent que, pour les premiers adeptes de Muhammad et très probablement pour lui-même, le Messie de la Fin des temps n’était autre que Jésus Christ » (p. 66-67). Ce Messie Jésus n’était cependant pas le fils de Marie en personne : « Ali était le lieu de la manifestation du ‘nouveau Jésus’ et donc le Second Christ/Messie » (p. 67). L’identification n’est pas facile à cerner. Il ne s’agit ni de retour strictement personnel, ni de réincarnation, ni de relation type/antitype. La « doctrine de la transmission du Legs sacré » l’explique à peu près comme « l’inhérence d’une force divine lumineuse dans les membres d’une longue chaîne de saints initiés » (p. 69). Ce rôle privilégié d’Ali, cousin et gendre de Muhammad, convient, bien sûr, aux shi’ites qui sont, c’est le sens du mot, ses partisans.
Je ne suis pas en mesure de vérifier la thèse, mais je ne peux guère me tromper en soulignant son importance pour le dialogue entre chrétiens et musulmans.
Henri Blocher,
Doyen honoraire de la Faculté Libre de Théologie Évangélique (FLTE)
Initialement publié dans « Théologie évangélique » vol. 22, n°1, 2023
Avec l’aimable autorisation de la FLTE.
Karim Arezki, sous dir., « Les Origines du Coran et de l’islam »,
Saint-Légier, éditions HET-Pro, novembre 2022,
124 pages, 17 €.